Post Trans avec Elie

Post Trans

Post Trans avec Elie

Entretien avec Elie, co-créatrice de Post Trans, qui souhaite donner plus de visibilité et de soutien aux femmes qui détransitionnent.

Illustration : Post Trans

 

Le sujet du transgenrisme est de plus en plus abordé, comme en témoigne les récents reportages dans les grands médias français (Vers L’Océan, Petite fille, Le combat des enfants transgenres, La révolution du genre). Cela met en évidence que le genre est encore puissant et déterminant dans nos sociétés modernes.

En revanche, ces médias mettent rarement en avant les critiques féministes et anti-industrielles et qui mettent en avant les tenants et aboutissants du genre en général. Pour les féministes radicales, le genre est une construction sociale qui désigne les stéréotypes et les rôles attribués selon le sexe pour justifier et maintenir la subordination des femmes.

Ces documentaires normalisent l’idée des personnes “nées dans le mauvais corps”. La solution proposée ou vendue est de s’accommoder à cette société et ses injonctions, à rendre les corps conformes. De leur côté, les féministes révolutionnaires cherchent non pas à changer les corps, mais la société patriarcale qui les opprime.

Selon l’analyse de Post Trans, la détransition peut désigner « le choix que quelqu’un fait de mettre un terme à sa transition sociale et/ou médicale vers un autre genre/sexe. Les personnes qui sont passées par une transition sociale (coming-out, changement de prénom, etc.) et qui y ont mis un terme avant d’avoir eu recours à des traitements hormonaux ou chirurgicaux seront appelées “désisteurs” ou “désisteuses”. Les personnes détrans et les désisteur·ses ont en commun une profonde remise en question de leur relation au genre, ainsi qu’un questionnement sur les origines du mal-être physique qui les a initialement amené·es à réaliser un parcours de transition.»

Pour en savoir plus, nous avons donc discuté avec Elie, co-créatrice de Post Trans, concernée par cette question.

 


 

On peut commencer par ton parcours, qui es-tu ? Et qu’est qui t’a amené à réfléchir à la transition ?

Je m’appelle Elie, j’ai 21 ans et j’ai grandi à Bruxelles. J’ai fait mon coming out en tant que lesbienne à l’âge de 15 ans, un peu avant de commencer à questionner mon identité de genre. Je me rappelle qu’à cet âge-là je trouvais ça vraiment difficile de m’identifier au mot “femme”. J’arrivais simplement pas à me projeter un avenir en tant que femme. En faisant des recherches là-dessus, je suis tombée sur le site d’une association trans. J’y ai pris un rendez-vous psy pour partager un peu mon questionnement, et c’est là qu’on m’a présenté la possibilité de poursuivre une transition de genre en prenant un traitement hormonal et en subissant des opérations. Au début, l’idée m’a paru vraiment trop extrême, mais à force de me renseigner sur le sujet et de voir des témoignages d’hommes trans sur internet, j’ai commencé à ressentir le besoin de poursuivre une transition masculinisante moi aussi.

À 15 ans il y a plein de raisons d’être effrayée du destin réservé aux femmes, pourquoi ne pouvais-tu pas te voir en tant que femme ?

Je ne me suis jamais vraiment sentie capable de performer la féminité comme les autres filles. Depuis mon enfance et début d’adolescence, je subissais des moqueries de la part de mes camarades de classe. On me traitait d’“hermaphrodite”, ou on se moquait du fait que j’étais “trop grande”, que j’aimais jouer à des “sports de garçon”, ce genre de chose. Je pense que ça m’est beaucoup resté, et comme je n’avais pas vraiment de modèles de femmes masculines et lesbiennes autour de moi, je n’arrivais pas à concevoir ça comme une option.

Et pourquoi vouloir être un homme ? Qu’est ce qui t’attirait dans le fait de devenir homme ?

Je n’avais pas vraiment envie de devenir un homme, mais je ne me sentais simplement pas “femme”. Je voulais juste être moi-même, et j’avais l’impression qu’être une femme ne me laissait pas cette possibilité. Puis, quand j’ai découvert l’option de prendre de la testostérone et de masculiniser mon corps pour échapper à mon assignation de femme, c’est petit à petit devenu évident que c’était ce dont j’avais besoin pour me sentir mieux. Je voulais me sentir valorisée pour qui j’étais, et je voulais me sentir mieux dans ma peau. Masculiniser mon corps était pour moi un moyen de me rapprocher de cet idéal “neutre” que j’avais en tête, qui me donnerait de la valeur et qui me rendrait libre d’être qui je suis.

Qu’est-ce qu’une masculinisation en terme médical ?

Pour moi, cela a consisté en une prise de testostérone et une mastectomie. Beaucoup subissent aussi une hystérectomie et certaines personnes vont jusqu’à subir une phalloplastie (la construction chirurgicale d’un pénis).

Comment ça s’est passé avec le psy ? Qu’est ce qu’il t’a dit ?

Le psy que j’ai consulté à l’association trans à laquelle je me suis rendue ne m’a pas vraiment donné le soutien psychologique dont j’avais besoin. Je lui ai expliqué que je ne me sentais pas femme et que j’étais perdue par rapport à ça, puis il m’a parlé de traitements hormonaux et des effets masculinisants que ça pouvait avoir sur mon corps. Sans aucune réflexion derrière, c’était un peu comme s’il voulait me vendre un produit. Je suis ressortie de cette séance vraiment choquée et déboussolée. Après ça j’ai commencé à faire mes recherches sur internet, et puis l’idée de prendre des hormones m’est doucement apparue comme la solution à mes problèmes.

À quel âge as-tu commencé à recevoir de la testostérone et subi une mastectomie ?

J’ai commencé à prendre un traitement hormonal à 16 ans et j’ai subi une mastectomie à 17 ans.

Le terme «masculinisation du corps» ressemble à un euphémisme. On peut penser qu’on parle d’une attitude, d’une nouvelle coupe de cheveux ou bien d’un autre rapport aux poils , quand il s’agit en réalité d’ablations irréversibles d’organes et tissus sains, de stérilisation, qu’est-ce tu en penses ? Est-ce que cette utilisation des mots risque de nous faire prendre à la légère des décisions graves ?

Je suis d’accord que l’usage des mots est important. À l’époque, je pensais que ce que je faisais ne consistait qu’en une masculinisation de mon corps, alors qu’effectivement c’était bien plus lourd que ça. On parle souvent de “changement de sexe”, et mes médecins faisaient comme si mon traitement hormonal me rendrait de sexe masculin. Par exemple, un endocrinologue m’a dit que mes risques de maladie cardio-vasculaire étaient maintenant égaux à ceux d’un homme biologique. Je n’y pensais pas plus que ça quand j’avais 16-17 ans. Je ne réalisais pas que, d’une part, mon corps serait toujours de sexe féminin, indépendamment des traitements hormonaux ou opérations que je pouvais subir, et d’autre part que ces même interventions pouvaient avoir de lourdes conséquences sur ma santé.

Je ne suis pas passée loin de subir une hystérectomie par exemple, parce que je pensais que c’était une étape par laquelle je devais passer de toute façon durant ma transition, et puis aussi j’avais commencé à avoir des douleurs à ce niveau-là. Le gynécologue qui me prescrivait mes hormones à l’époque m’encourageait à la faire en me disant que, comme j’étais jeune, ça ne poserait pas de souci. J’avais l’impression que mon utérus était juste un truc inutile dans mon corps qui me faisait plus de mal que de bien. Ce n’est que récemment, en parlant à d’autres femmes détrans qui sont passées par une hystérectomie, que je me suis rendue compte à quel point c’était lourd et dangereux pour la santé de se faire retirer un organe vital, tout particulièrement à un si jeune âge. C’est fou que je ne m’en sois pas rendue compte plus tôt, quand j’y repense. Mais je sais que je suis loin d’être un cas isolé.

Comment ta vie a changé quand tu étais plus ou moins considérée socialement comme un homme ? Qu’est-ce qui a changé et qu’est-ce qui n’a pas changé ?

Ma transition a amené beaucoup de changements sociaux. Il est difficile de savoir avec certitude de quelle manière les autres nous perçoivent, mais il y a des différences assez évidentes que j’ai remarquées en passant d’un “passing” féminin à un “passing” masculin. Par exemple, je me sentais davantage écoutée et prise au sérieux après avoir commencé ma transition, surtout sur des sujets touchant au féminisme. D’un coup je n’étais plus la féministe en colère qui en demandait trop, mais un homme attentionné et juste qui méritait d’être félicité. Le fait d’être perçue comme un homme m’apportait également un sentiment de sécurité dans la rue notamment. Je ne me sentais pas en danger lorsque je me baladais seule tard dans les rues.

Par contre, lorsque je me baladais avec Nele – ma partenaire qui est également une femme détrans – et avec qui nous étions perçues comme un couple d’hommes gays, nous avons rencontré beaucoup d’agressions verbales homophobes. J’avais déjà vécu cela plus tôt dans ma vie en tant que lesbienne, mais là c’était différent. Les insultes lesbophobes dont j’ai été la cible étaient davantage objectifiantes et sexualisantes, alors que celles-ci étaient plus agressives et témoignant d’un grand dégoût.

De manière générale, je pense que ma transition a eu un grand impact sur la manière dont j’ai été perçue et dont on s’est comporté à mon égard. Je ne me suis jamais sentie à l’aise dans le rôle social d’homme car je ne me retrouvais pas dans ce rôle dominant et parce que cela m’a séparée des autres femmes et lesbiennes. D’un autre côté pourtant, cela m’a apporté un réel confort, de la confiance et un sentiment de sécurité.

Pourquoi as-tu décidé de détransitionner ? Qu’est-ce qu’on entend par détransition ? As-tu été accompagnée par un psy pendant ce processus ?

Ma décision de détransitionner s’est faite en plusieurs étapes. Après quelques années sous injections de testostérone, j’ai commencé à avoir des problèmes gynécologiques importants. J’ai consulté plusieurs spécialistes et le constat était assez clair : ces problèmes étaient fort probablement liés à la prise d’hormones. Il a donc fallu que je commence à prendre un traitement d’œstrogènes en parallèle à la testostérone.

C’est là que j’ai commencé à me poser des questions par rapport à ma transition médicale. Était-ce réellement nécessaire de continuer dans cette direction ? Pourquoi est-ce que personne n’avait mentionné l’option de simplement arrêter tout traitement hormonal ? Je me suis rendu compte que je ne connaissais pas mon corps adulte naturel, sans traitement. Depuis mes 16 ans je le fuyais, j’en avais peur. Quatre ans plus tard, à mes 20 ans, j’ai décidé de confronter cette peur et de me faire confiance. J’ai donc arrêté tous mes traitements (toujours sous surveillance médicale).

À partir de là, beaucoup de choses se sont bousculées dans ma tête. Moi qui avais fait tout ce parcours éprouvant de transition physique et sociale pour répondre au grand mal-être corporel que je ressentais à mes 16 ans, pour ensuite me rendre compte que j’étais capable d’y remédier d’une manière beaucoup moins intrusive. Ce qui a été un élément clé dans mon processus de détransition, ça a été de m’entourer quasiment exclusivement d’autres femmes et surtout de lesbiennes. C’est comme ça que je me suis rendue compte que mon expérience était bien plus proche de celles d’autres femmes que je le pensais.

À mes 16 ans on m’a fait me sentir différente parce que je ne voulais pas être une femme et parce que je me sentais mal dans mon corps de sexe féminin. On m’a dit que j’étais trans, et j’ai cru que cette “dysphorie de genre” que je ressentais était un problème qui était situé en moi. Ça m’a empêché de voir que ces sentiments sont en réalité vécus par tellement d’autres femmes, même s’ils s’expriment souvent de manières différentes.

Cette réalisation m’a permis de comprendre que le problème n’était pas situé en moi, mais qu’il était partout autour. Le vrai problème, c’est toutes ces injonctions qui sont faites aux femmes et qui les empêchent de vivre leur vie comme bon leur semble. C’était ça, l’élément clé de ma détransition, bien plus que l’aspect physique. Je porte toujours les marques de mes années de transition médicale : ma voix restera grave, ma pilosité faciale restera visible, je n’aurai plus jamais de poitrine. Je porte toujours des cheveux courts, des vêtements plutôt masculins et on me perçoit encore comme un homme dans la rue. Mais maintenant, à la différence d’avant, je refuse de me battre continuellement contre mon corps de sexe féminin. Je l’accepte tel qu’il est.

 

Est-ce que tu préfères le terme de post trans ? D’ailleurs tu fais un travail de documentation sur les détransitions avec Post Trans, est-ce que tu peux nous en parler ?

Avec ma partenaire – Nele – qui est également détrans, nous avons créé un projet du nom de Post Trans il y a un an et demi environ. Nous sommes toutes les deux parties du constat qu’il y avait un manque de ressources important sur le sujet de la détransition. Il y avait quelques témoignages dans des blogs ou sur YouTube, mais on avait presque l’impression d’être les seules. C’est pour ça qu’on a voulu créer une plateforme de recueil de témoignages de femmes détrans, dans le but de leur offrir un espace de partage et de donner de la visibilité à leurs expériences.

À peine nous avions commencé le projet que d’autres femmes détrans nous ont contactées pour partager leurs témoignages. Ça a été très positif à ce niveau-là, on sentait que notre projet répondait à un réel besoin. D’un autre côté, nous avons vite compris que ce genre de témoignages n’était pas du tout le bienvenu dans des espaces LGBTQ et trans. Beaucoup de textes sur notre site ont d’ailleurs été anonymisés afin d’en protéger les autrices.

Cette année avec Post Trans, nous avons créé une brochure informative sur le sujet de la détransition. Nous avons eu la chance de recevoir le soutien de la Cellule Égalité des Chances de Bruxelles pour la faire imprimer et la distribuer. Cette brochure se veut être un outil de sensibilisation sur la détransition d’une part et un recueil d’informations pratiques pour les personnes détrans ou toute autre personne se posant des questions sur son parcours de transition d’autre part.

Nous aimerions rendre cette ressource aussi accessible que possible. Toute association ou personne qui seraient intéressée de nous aider à remplir cet objectif en nous commandant des exemplaires papier est invitée à nous contacter. La brochure sera également mise en ligne sur le site de Post Trans à partir du 12 mars, à l’occasion de la journée de la visibilité des personnes détrans.

 

Banshee

 

3 Comments
  • Morgane
    Posted at 18:36h, 10 mars Répondre

    Merci pour cet article génial qui diffuse un message si important… !

  • Anonyme
    Posted at 07:29h, 06 septembre Répondre

    pour autant dans une société sans petrole et sans medecine moderne les transgenres n existe plus

  • Antoine
    Posted at 13:58h, 28 novembre Répondre

    Il y a eu des personnes transgenres avant le pétrole et la médecine moderne… On peut avoir une critique aigüe du phénomène de médicalisation des parcours de vie, sans tomber dans un déni.

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